Appel à communications – « D’explorations éditoriales en balbutiements numériques : la poétique du support pour cadrer une préhistoire des pratiques littéraires numériques au Québec »

59e journée d’échanges scientifiques de l’Association québécoise pour l’étude de l’imprimé en collaboration avec Littérature québécoise mobile

D’explorations éditoriales en balbutiements numériques : la poétique du support pour cadrer une préhistoire des pratiques littéraires numériques au Québec

Université Laval, 5 novembre 2021

Si, à bien des égards, l’entrée dans la culture numérique donne l’impression d’une rupture nette avec les pratiques culturelles des siècles – voire des décennies – qui l’ont précédée, le monde des ordinateurs et des écrans met pourtant en évidence des continuités fortes entre la culture imprimée et celle, marquée par la présence du numérique, qui est la nôtre aujourd’hui. C’est notamment lorsque l’on pense le fait littéraire en termes de supports et de matérialité que ces lignes de traverse apparaissent.

Les études sur la culture imprimée et médiatique des XIXe et XXe siècles, inscrites dans une perspective d’histoire culturelle, ont récemment insisté sur le rôle fondamental des supports dans la production, la diffusion et la réception de la littérature. Comme le suggérait avec force Marie-Ève Thérenty, « [après] des années d’occultation par la discipline des conditions matérielles de production de la littérature, l’histoire littéraire est peut-être aujourd’hui en mesure de substituer à sa triade : auteur, lecteur, texte, un nouveau quarté : auteur, lecteur, texte, support » (2009, p. 111).

Que l’on pense aux différents formats du livre ou à ses dehors – à la presse imprimée, aux objets et livres d’art, aux ondes hertziennes, aux multiples écrans, aux performances et installations éphémères en arts littéraires, aux cassettes, aux disquettes, aux CD-ROM, … – le support est tout à la fois l’interface matérielle dont les paramètres orientent et contraignent l’écriture et le vecteur du texte qui le porte jusqu’à son récepteur. De façon plus diffuse, chaque support concentre également un ensemble de représentations, il active un imaginaire spécifique de la matérialité du texte, contre ou avec lequel la littérature peut, à chaque époque, élaborer ses formes.

S’appuyant sur ces réflexions, la 59e journée d’échanges scientifiques de l’AQEI, organisée en partenariat avec Littérature québécoise mobile, invite les chercheurs et chercheuses à interroger la diversité des supports investis par la littérature québécoise entre les décennies 1960 et 1990, ainsi que les dispositifs matériels et techniques qui leur sont associés. Au cours de cette période prénumérique, pendant laquelle la naissance et la popularisation des premiers ordinateurs ont bouleversé tant les sciences naturelles que la psychologie cognitive ou le monde des lettres et de l’édition, on s’intéressera tout particulièrement aux supports qui précèdent la littérature numérique et commencent à l’élaborer.

Avant les fictions interactives pour applications mobiles qui se développent aujourd’hui, avant même les liseuses électroniques, le ePub et le livre numérique homothétique maintenant largement répandus, quels supports et dispositifs les auteurs, autrices et autres acteurs ont-ils investis pour inventer des formes littéraires dont les caractéristiques – telles que la construction rhizomatique, l’interactivité, le recours à d’autres systèmes sémiotiques que le texte imprimé – renouvellent le langage littéraire et préfigurent la littérature numérique ?

Le champ couvert par cette question est vaste, allant des explorations de type oulipien, basées sur des logiques combinatoires, jusqu’aux œuvres littéraires sur CD-ROM, en passant par la littérature sonore, les installations et performances littéraires ayant recours à des dispositifs techniques variés (machines, écrans, procédés automatisés, etc.).

Au-delà des supports prénumériques, les participants sont toutefois également invités à envisager, très largement, la diversité des pratiques littéraires liées à des explorations éditoriales sur des supports autres que le livre. Les propositions pourront ainsi porter sur les objets d’art et la contre-culture – on peut penser par exemple à L’anti-can (1969) de Roger Soublière, un ensemble de poèmes contenus dans une boîte de conserve – comme sur les supports sériels et médiatiques (presse, supports bon marché et littérature en fascicules).

Les propositions de communication, qui devront se concentrer sur le contexte québécois des années 1960 à 1990, pourront s’inscrire dans l’un des axes suivants, sans restriction :

Le support comme laboratoire des poétiques littéraires

  • En quoi les contraintes et spécificités médiatiques liées à chaque support infléchissent-elles l’écriture et constituent-elles un stimulant ou un obstacle pour la création littéraire ?
  • Autrement dit, quelles sont les manifestations poétiques de chaque support ? En quoi se distinguent-elles des caractéristiques poétiques induites par le livre imprimé ? En quoi permettent-elles des explorations parentes avec la littérature numérique ?
  • Quel imaginaire du support est véhiculé par les œuvres à différentes époques ? Comment l’imaginaire du support est-il incorporé dans le langage littéraire ? Que révèle-t-il de la littérature et de ses représentations ? En quoi ces imaginaires du support s’articulent-ils à des conceptions de la littérarité ?

Auctorialité, énonciation et dispositifs éditoriaux

  • Que fait le support à l’auteur, à sa parole, à sa corporéité et à son autorité ?
  • Quelle est la part de l’intervention de la machine ou du dispositif (ex. procédés d’automatisation, sélection aléatoire, intelligence artificielle, rupture de la linéarité) ou celle du lecteur/auditeur/spectateur dans l’élaboration et le rendu de l’œuvre ?
  • Quels autres acteurs que l’auteur sont mobilisés par la production de l’œuvre ? En quoi la marque du collectif intervient-elle pour encadrer, présenter, diffuser le texte ? On pourra interroger par exemple le rôle de l’« énonciation éditoriale » (Souchier, 1998) et de l’« éditorialisation » (Vitali-Rosati, 2017a) en ce sens. On pourra aussi étendre la notion de « publication » hors du monde du livre (comme le suggèrent Rosenthal et Ruffel, 2018).
  • Dans quelles séries, dispositifs éditoriaux et ensembles architextuels l’œuvre, hors du livre canonique, vient-elle s’inscrire ? Comment ceux-ci influent-ils sur les poétiques littéraires ?

La sociologie du support et la réception

  • Quelle place dans le champ littéraire occupent ces œuvres – ainsi que leurs créateurs et créatrices – faisant appel à des supports distincts de la forme canonique du livre ? Hors du Livre, la littérature est-elle toujours perçue et reçue comme telle ?
  • Quels enjeux de légitimité et de reconnaissance se dessinent autour des supports ?
  • Peut-on établir des liens entre la position des agents dans le champ littéraire et l’investissement d’un support plutôt qu’un autre ? Les pratiques littéraires contre-culturelles, par exemple, ou encore celles d’auteurs débutants ou appartenant à des groupes minoritaires s’approprient-elles des supports spécifiques ?
  • Parce que la maîtrise de chaque support nécessite l’acquisition de codes et d’une forme particulière de littératie, quels obstacles pose la formation des récepteurs à la diffusion de la littérature faisant appel à des supports nouveaux ou inhabituels ?

Enjeux mémoriels et historiographiques

  • En raison des transformations rapides et de l’obsolescence des technologies, quels défis et difficultés se dessinent autour de la pérennité, de l’archivage et de la mémoire des œuvres littéraires hors du livre ?
  • Quelle place les institutions patrimoniales, comme les bibliothèques, ont-elles réservée à la littérature qui investit d’autres supports que le livre ? Comment les collections peuvent-elles être repensées pour mieux refléter la variété des pratiques littéraires aux côtés du livre imprimé ?
  • Quelles traces reste-t-il des œuvres disparues, éphémères, obsolètes ? Comment peut-on les intégrer à une histoire des pratiques littéraires ?
  • En quoi l’histoire des supports de la littérature depuis les années 1960 peut-elle fournir des leçons ou des pistes de réflexion pour assurer la pérennité de la littérature numérique ?
  • Quelles continuités apparaissent dans l’exploration des supports et les matérialités du texte des années 1960 à la littérature numérique ?

Les réflexions issues de cette journée d’échanges scientifiques se veulent un point de départ pour l’un des chantiers de recherche de Littérature québécoise mobile, qui vise à établir l’histoire des pratiques littéraires numériques au Québec. Littérature québécoise mobile (https://lqm.uqam.ca/) est un projet de recherche en partenariat alliant des universitaires et des organismes culturels ; il est financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

*

Les propositions de communications en français, comprenant un titre, un résumé d’environ 300 mots et une courte notice biographique, doivent être envoyées par courriel à lqm.quebec@gmail.com avant le 31 mai. Les participant·e·s recevront une réponse au plus tard à la fin du mois d’août.

Selon les consignes sanitaires en vigueur, la journée du 5 novembre se déroulera sur place, à distance ou selon une formule hybride. Les communications d’une durée de 20 minutes seront suivies d’une période de questions de 10 minutes.

Les participantes et participants devront être membres de l’AQÉI avant la journée scientifique. Veuillez consulter la page « Adhésion » pour toute information concernant le processus d’adhésion ou d’inscription.

Comité d’organisation
René Audet, professeur, Université Laval
Sophie Marcotte, professeure, Université Concordia
Mélodie Simard-Houde, professeure, Université du Québec à Trois-Rivières

Bibliographie indicative

BEAUDRY, Guylaine (2013), « Prologue d’une histoire de l’édition numérique au Québec », Papers of the Bibliographical Society of Canada, 51 (2), 49-81.

BERNIER, Stéphanie, Sophie DROUIN et Josée VINCENT (dir.) (2013), Le livre comme art. Matérialité et sens, Québec, Éditions Nota bene.

BLANC, Julie (2020), « Timeline of technologies for publishing (1963-2018) », http://recherche.julie-blanc.fr/timeline-publishing/

DURAND, Pascal et Christine SERVAIS (dir.) (2017), L’intervention du support : médiation esthétique et énonciation éditoriale, Liège, Presses universitaires de Liège.

JEANNERET, Yves et Emmanuël SOUCHIER (2005), « L’énonciation éditoriale dans les écrits d’écran », Communication et langages, (145), 3-15.

LAROSE, Karim et Frédéric RONDEAU (dir.) (2016), La contre-culture au Québec, Montréal, Presses de l’Université de Montréal.

LETOURNEUX, Matthieu (2017), Fictions à la chaîne. Littératures sérielles et culture médiatique, Paris, Éditions du Seuil.

MICHON, Jacques (dir.) (2010), Histoire de l’édition littéraire au Québec au XXe siècle, vol. 3 : La bataille du livre, 1960-2000, Montréal, Fides.

ROSENTHAL, Olivia et Lionel RUFFEL (dir.) (2018), dossier « La littérature exposée (2) ». Littérature, (192).

SAEMMER, Alexandra (2007), Matières textuelles sur support numérique, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne.

SOUCHIER, Emmanuël (1998), « L’image du texte. Pour une théorie de l’énonciation éditoriale », Les Cahiers de médiologie, (6), 137-145.

THÉRENTY, Marie-Ève (2009), « Pour une poétique historique du support », Romantisme, 143 (1), 109-115, https://doi.org/10.3917/rom.143.0109

VITALI-ROSATI, Marcello (2017a), « Pour une définition de l’éditorialisation », Études digitales, 1 (3), 39-54.

VITALI-ROSATI, Marcello (2017b), « Littérature papier et littérature numérique, une opposition ? », Actes du colloque « Internet est un cheval de Troie », Fabula. Colloques en ligne, https://www.fabula.org:443/colloques/document4191.php

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