65e Journée scientifique de l’AQÉI – Appel à communications

Images de lectrices et matérialité de la lecture de l’imprimé, du 19e siècle à aujourd’hui

8 novembre 2024
Université du Québec à Trois-Rivières

C’est avec plaisir que nous vous invitons à participer à la 65journée d’échanges scientifiques de l’AQÉI, co-organisée par Ersy Contogouris et Mélodie Simard-Houde. Intitulé « Images de lectrices et matérialité de la lecture de l’imprimé, du 19e siècle à aujourd’hui », l’événement aura lieu le 8 novembre prochain à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

« Si ma mère était une lectrice infidèle, c’était aussi, pour les ouvrages où elle trouvait l’accent d’un sentiment vrai, une lectrice admirable par le respect et la simplicité de l’interprétation, par la beauté et la douceur du son. » — Marcel Proust, Du côté de chez Swann

Dans le portrait de sa mère en lectrice, dont cet extrait n’est qu’un fragment, le narrateur d’À la recherche du temps perdu s’attarde à la performance de la lecture, celle de sa « maman qui [lui] lisait à haute voix » (1987 : 41) François le Champi de George Sand, avec sa censure (« elle passait toutes les scènes d’amour » [41]), son « interprétation » (42) et ses sonorités propres. Nombreux sont les romans et, plus largement, les productions de la culture imprimée et visuelle dans lesquels les figures de lectrices permettent de tenir un propos sur la lecture comme pratique, telle qu’elle est vécue, performée, ressentie.

La littérature, mais aussi la peinture, la photographie, le cinéma, la presse, voire la publicité, lèvent également le voile sur l’appréhension sensible du livre et, au-delà, des imprimés de tout type (fascicules, journaux, magazines…) en tant qu’objets matériels. Les représentations culturelles illustrent les attitudes corporelles et les perceptions sensorielles associées à la lecture de l’imprimé, sous quelque forme qu’elle se présente. Elles indiquent les lieux où l’on lit à une époque donnée, révèlent ce qu’on y lit, et avec quels gestes. Rappelons, comme autre exemple canonique, la façon dont Emma Bovary et ses camarades de couvent manient les keepsakes et « leurs belles reliures de satin », dans une scène suggestive où, remarque Marie-Ève Thérenty, « [l]e support luxueux (papier de soie, reliure de satin) se marie avec le texte afin de créer chez la lectrice un effet érotique. » (2009 : 110) Pensons encore aux figurations de lectrices chez la peintre Mary Cassatt, où l’expérience sensorielle de la lecture (lumière, posture du corps, maniement du papier) s’entremêle à une qualité de concentration, qui oppose à la lecture partagée du narrateur proustien une lecture intérieure, pour soi.

Certes, les exemples classiques de représentations de lectrices ne manquent pas, et l’histoire culturelle, l’histoire de l’art, la sociologie de la littérature, de même que les théories de la lecture et de la réception ont déjà bien entamé l’étude des usages, des pratiques et des expériences de lecture. Néanmoins, à l’occasion de cette journée scientifique de l’AQEI, nous aimerions contribuer à une histoire de la matérialité de la lecture imprimée et des sensibilités des lectrices en invitant les contributeur·rices à aborder cette question sous l’un ou l’autre des trois angles spécifiques suivants : celui du support, celui des usages populaires et celui du genre sexué. Chacun de ces angles nous paraît potentiellement riche parce que lié à un champ d’étude dont la vitalité s’est traduite par une multitude de travaux et de questionnements récents.

Si, sur le plan de l’écriture, le support induit des procédés et des contraintes, il influence certainement aussi l’appréhension de l’imprimé, la valeur qu’on lui attribue, la façon dont on le manie ou le collectionne. Cette piste de réflexion invite à considérer le support comme une variable matérielle des pratiques de lecture, mais aussi à interroger la façon dont la lecture de l’imprimé a pu être représentée par le prisme de différents supports et langages sémiotiques, de la peinture à la culture numérique. On pourrait ainsi, dans cette perspective, s’intéresser à la récente résurgence des mises en scène de lectrices de l’imprimé (et de bibliothèques de lectrices) sur les réseaux sociaux, par le biais d’une pratique comme celle du BookTok, ou bien encore étudier les formes de leur visibilité au petit ou au grand écran. Quelle place la culture visuelle, du 19e siècle à aujourd’hui, fait-elle aux lectrices d’imprimés de toutes sortes ? Il s’agit, autrement dit, d’élargir la saisie des représentations de lectrices en observant leurs incarnations au-delà du discours littéraire, et en interrogeant ce que chaque support est à même de nous apprendre sur la diversité des expériences de lecture.

La seconde piste de réflexion souhaite placer l’accent en particulier sur les usages populaires de l’imprimé et sur la lecture d’imprimés de grande diffusion. En ce sens, cette journée s’inscrit dans le sillage du colloque « Traces et approches des usages dans la culture populaire et médiatique » (Letourneux et Savoie, 2024) et des travaux d’Anne-Marie Thiesse (1984), de Judith Lyon-Caen (2005) et d’Absalyamova et Stiénon (2018), qui se sont penchées sur le rapport des lectrices et lecteurs à des imprimés de masse, comme la presse, et à des genres populaires, comme le roman-feuilleton. Que sait-on des expériences et des usages des lectrices de la presse d’information, ou encore de la lecture d’imprimés de masse réputés féminins, comme la presse sentimentale ? Quelles formes de spécularité décèlent les imprimés populaires, lorsqu’il est question de représenter leurs lectrices ? Qu’est-ce que les interstices de l’imprimé, comme les pages publicitaires et les rubriques-concours, permettent de savoir au sujet des pratiques des lectrices ? Comment la lecture de l’imprimé interfère-t-elle avec la réception d’autres types de productions populaires et médiatiques ? Ce sont là quelques-uns des questionnements qu’ouvre cette piste de réflexion.

Enfin, comme on l’aura senti, cette journée d’étude souhaite mettre en avant les pratiques genrées de la lecture de l’imprimé. À l’instar d’Adler et Bollmann (2020), on s’intéressera en priorité aux usages de l’imprimé, aux pratiques de lecture et aux représentations des femmes ou de groupes issus de la diversité de genre. Nous invitons les collaborateur·rices à porter attention au point de vue genré depuis lequel les représentations de lectrices sont produites (par exemple à la prégnance du male gaze dans la culture visuelle), ou encore à faire entendre les voix de lectrices. On pourra aussi tenter de cerner, sous cet angle, la teneur des lectures (que lisent les femmes ?) et remettre en question les cloisons présumées entre les corpus. Dans la même optique, la dimension genrée de la cartographie des espaces de lecture pourrait être appréhendée : où lisent les lectrices ? lisent-elles en public, et comment ? Quelle histoire de la spatialité de la lecture au féminin peut-on tracer ?

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Les propositions de communication (250-300 mots), accompagnées d’une notice biobibliographique (100-150 mots) doivent être transmises à l’adresse ersy.contogouris@umontreal.ca avant le 28 juin 2024.

Les personnes dont les propositions seront retenues devront être membres de l’AQÉI au moment du colloque.

Bibliographie indicative

Absalyamova, Elina et Valérie Stiénon, Les voix du lecteur dans la presse française au XIXe siècle, Limoges, PULIM, coll. « Mediatextes », 2018.

Adler, Laure et Stefan Bollmann, Les femmes qui lisent sont, de plus en plus, dangereuses, Paris, Flammarion, 2020.

Cavallo, Guglielmo et Roger Chartier (dir.), Histoire de la lecture dans le monde occidental, Paris, Seuil, 2001.

Duccini, Hélène, « La lecture, histoire d’une pratique culturelle », MédiaMorphoses, no 18, 2006, p. 22-29.

Gervais, Bertrand et Rachel Bouvet (dir.), Théories et pratiques de la lecture littéraire, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2007.

Letourneux, Matthieu et Chantal Savoie, appel à communications, colloque « Traces et approches des usages dans la culture populaire et médiatique 1880-2020 », Montréal, 28 au 30 mai 2024, URL : https://www.fabula.org/actualites/116158/appel-de-communications-pour-le-colloque-traces-et-approches-des-usages.html.

Lyon-Caen, Judith, La lecture et la vie. Les usages du roman au temps de Balzac, Paris, Tallandier, 2005.

Proust, Marcel, Du côté de chez Swann, Paris, Gallimard, coll. « folio », 1987 [1913].

Thérenty, Marie-Ève, « Pour une poétique historique du support », Romantisme, no 143, 2009, p. 109-115.

Thiesse, Anne-Marie, Le roman du quotidien. Lecteurs et lectures populaires à la Belle Époque, Paris, Le Chemin Vert, 1984.

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